Trois nouveaux dispositifs pour les Grands Marginaux
Comment se sont organisées la réponse et la sélection de cet Appel à Manifestation d’Intérêt ?
Dans le Val d’Oise, nous avons plusieurs dispositifs d’accueil et la question de l’hébergement est au cœur de nos problématiques. A l’accueil de jour, nous voyons des personnes en grande précarité pour lesquels nous n’avons pas toujours de réponse à apporter. On fait le constat qu’on peut mettre à l’abri certaines personnes mais pas toutes pour différentes raisons.
Cet appel à projets avait donc un sens pour nous, notamment dans la volonté d’accueil inconditionnel que défend l’association.
Nous avons travaillé, pour répondre à cet AMI, avec différents acteurs issus du tissu local.
La problématique de l’accompagnement des personnes dites « grands marginaux » permet une liberté d’action et un mode expérimental qui est très intéressant. Cela correspond totalement au positionnement d’Aurore qui est souvent avant-gardiste et qui développe des dispositifs innovants.
Notre analyse de la situation et notre bonne connaissance du public ciblé nous a placés dans les favoris. Notre capacité à nous inscrire dans un lieu et à travailler avec la collectivité a fait la différence : nous avons été soutenu par la ville de Bezons et c’était un prérequis.
Je suis également convaincu que le travail collaboratif effectué par toutes les équipes d’Aurore a apporté une dimension plus stratégique au projet. Nous avons travaillé conjointement sur les AMI 44, 95 et 77. Nous avons pu nous appuyer sur les délégués métiers et d’autres personnes ressources au sein d’Aurore, notamment sur les métiers d’addiction ou de maladies chroniques. Personnellement, je me suis senti soutenu et appuyé.
Et à l’avenir, je ne doute pas de notre capacité à travailler avec d’autres experts d’Aurore qui pourront nous épauler dans ce nouveau dispositif qui peut s’avérer parfois un peu « rock’n roll ».
Concrètement, en quoi consiste ce projet grands marginaux ?
Il s’agit d’un lieu de vie innovant, à dimension collective mais en chambre individuelle, pour 10 personnes vivant à la rue. Cela peut être des hommes, des femmes mais aussi des couples, à condition d’être majeur.
La mission première du dispositif sera de stabiliser les publics et de viser ainsi la sortie définitive de la rue.
Si on se concentre sur la population des grands marginaux, on peut faire plusieurs constats : bien souvent l’accompagnement social est un échec avec eux car ils ne se retrouvent pas dans les services qu’on peut leur proposer. Les normes de règles de vie dans les hébergements, la stigmatisation ou l’interdiction de certaines consommations, le refus des animaux de compagnie sont autant de facteurs rédhibitoires pour l’accueil de ce public dans de nombreuses structures d’hébergement.
L’idée était donc de développer un dispositif souple avec des règles plus flexibles et une plus grande tolérance sur différents points comme la consommation de produits et l’accueil d’un animal. D’ailleurs, nous avons même le choix de ne pas établir de règlement intérieur par avance : celui-ci se construit avec les personnes accueillies elles-mêmes et c’est d’ailleurs assez intéressant à observer.
Nous pensons qu’il faut emprunter le regard de l’autre, en le remettant au cœur même de sa vie afin qu’il en soit acteur.
Cela signifie que nous devons décloisonner nos pratiques professionnelles. Même sur les indicateurs de réussite du projet, nous allons totalement les redéfinir. Nous sommes d’ailleurs accompagné d’un chercheur, Christophe Blanchard, afin de trouver les critères les plus pertinents.
Nous menons cette expérimentation sur 3 ans. Nous veillerons à bien traduire auprès de nos partenaires institutionnels la réalité que nous rencontrons : quelles sont les difficultés, quels freins sont à lever… afin que ce dispositif soit pérennisé. Il y a d’ailleurs un COPIL prévu en juin pour un 1er bilan d’étape avec quelques semaines d’ouverture.
Quel accompagnement proposez-vous ?
L’accompagnement sera tout d’abord social, avec une démarche du « logement d’abord ». Il sera également pluridisciplinaire avec une équipe dédiée : promotion de la santé physique et mentale, psycho-médicosociale, professionnelle, motivée, ancrée dans le territoire. Un programme de réduction des risques sur les addictions sera bien évidemment mené.
L’accompagnement sur ce nouveau service sera assuré par une psychologue, une éducatrice spécialisée, une infirmière qui sont d’ores et déjà recrutées.
L’objectif est également de travailler sur la pair-aidance et l’entraide collective donc chaque résident sera acteur de son propre accompagnement et de celui des autres.
Ce processus sera facilité, comme je le disais, par des règles de fonctionnement souples qui incluent la liberté des entrées et des sorties 24h/24, la possibilité d’aller-retour entre le centre et la rue avec la conservation de sa chambre, la tolérance à l’égard des consommations d’alcool, ainsi qu’un mode d’habitat individuel qui offre un espace intime et sécurisé et qui permet l’accueil de personnes avec leur chien.
Il n’y a pas de durée de séjour limitée dans le temps, sans conditionnement à l’observance d’un suivi thérapeutique. Le principe est de soutenir le projet de la personne accueillie, de valoriser ses compétences et ses capacités même si cela n’aboutit pas à une autonomie complète. Chaque renouvellement de séjour permettra de fixer des repères, des objectifs…
Comment les personnes se sont installées ?
Le premier pavillon a ouvert fin avril. Nous sommes toujours en recherche du deuxième pavillon que nous espérons pouvoir ouvrir avant l’été.
Ce pavillon accueille aujourd’hui 4 hommes. Ils ont été sélectionné par ce que nous appelons les commissions de peuplement. Grâce aux signalement des maraudes et des services sociaux, nous identifions des personnes et nous voyons comment les intégrer. Il n’y a pas encore de femme mais nous en accueillerons une dans le deuxième pavillon. Et aucun résident ne possède d’animal mais cela reste tout à fait possible.
C’est après 3 semaines d’ouverture une belle réussite : les résidents s’approprient les lieux, ont défini les règles de la vie en communauté. On constate leur capacité à s’organiser, à prendre leur repas ensemble ou séparément, selon leur présence ou non.
Il y a une grande souplesse dans les entrées et les sorties. Ils ne se défont pas de leurs habitudes de vie de rue. Mais ils ont désormais un toit où ils peuvent venir.
Ils s’impliquent dans la vie de la maison et vont bientôt choisir le nom de ce nouveau service.