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L’ordre du mérite, pour Diaryatou Bah, récompense son combat envers les droits des femmes

Les visages d'Aurore

Née en Guinée en 1985, Diaryatou Bah subit de nombreuses violences dues à sa qualité de femme. Une fois libérée de l’emprise de son mari, elle écrit son autobiographie « on m’a volé mon enfance » et crée son association « Espoirs et Combats de femmes ». En 2013, elle est embauchée chez Aurore et travaille actuellement au CHS Cœur de Femmes. Elle a été récompensée le 7 mars dernier par la médaille de l’ordre du mérite pour son engagement féministe. Rencontre avec une femme exceptionnelle

Quelles sont les épreuves que tu as traversées en tant que femme née en Guinée ?

Je suis née dans une fratrie de 32 enfants. Ma mère était la 4ème femme de mon père. J’ai été élevée par ma grand-mère dans un tout petit village de femmes, perdu dans la Guinée. J’ai donc constaté, très jeune, que les femmes faisaient absolument tout mais qu’elles étaient privées du droit de décider. J’ai été très heureuse jusqu’à mes 8 ans où j’ai été excisée, selon la tradition. Je n’ai pas compris ce qu’il m’arrivait. Personne ne m’a expliqué mais c’était le prix à payer pour être intégrée, et c’était un rituel. J’ai souffert terriblement pendant plusieurs semaines.

A 10 ans, j’ai perdu ma grand-mère et j’ai dû retourner à Conakry dans ma famille. C’était très difficile. Je n’avais pas ma place dans la fratrie, je voyais que ma mère était soumise au milieu des 3 autres femmes. Le matin, j’allais à l’école où je n’étais jamais allée et l’après-midi était dédié aux tâches ménagères. On me faisait bien sentir que le mieux qui pouvait m’arriver était de me marier.

A 13 ans, un homme, qui habitait aux Pays Bas, est venu passer quelques jours à la maison et m’a choisie comme épouse. Il a dû convaincre mes parents d’accepter ce mariage car il était quand même beaucoup plus âgé que moi. Mais, parce qu’il travaillait (soit disant) à l’Union Européenne et qu’il s’engageait à faire venir un de mes frères, mes parents m’ont finalement mariée à cet homme.

 

La venue en Europe n’a pas vraiment été une délivrance ?

Absolument pas. J’aurais pu tomber sur un homme bon, même si c’est anormal d’être mariée à 13 ans. Mais il était violent. J’ai vite découvert qu’il avait une autre femme en Hollande et d’autres en Guinée. Il m’a tout de suite menacée pour que je lui sois soumise. Et comme j’étais mineure, cela était encore plus facile. J’ai connu en Hollande 2 ans ½ de violences, de mensonges… Il m’enfermait parfois plusieurs jours dans l’appartement quand il allait voir son autre femme, il me battait, me violait. J’ai perdu un premier enfant à 4 mois de grossesse et j’ai accouché d’un bébé mort-né à cause de ses violences. Je n’avais même pas 16 ans.

Nous avons alors déménagé aux Lilas dans un minuscule appartement insalubre. J’ai dû subir une interruption médicale de grossesse car le bébé que je portais à nouveau était malformé à cause des coups que je recevais.
Heureusement, j’avais une voisine qui n’était pas dupe de la situation et sans rien dire, je pense qu’elle m’a aidée. 

 

Comment as-tu réussi à te libérer de son emprise ?

J’avais bien compris que ce que je vivais n’était pas normal mais je ne savais pas comment me défendre. Un jour, alors qu’il était en Guinée pour 1 mois, j’ai entendu, à la télévision, un témoignage d’une femme marocaine. Ça m’a ouvert les yeux. Et là je n’ai plus cessé de me battre. Je suis rentrée dans un long parcours du combattant.

J’ai sollicité l’aide de l’assistante sociale de la ville des Lilas, j’ai inventé un prétexte pour que mon père m’envoie mon véritable acte de naissance pour prouver mon âge et j’ai quitté ce mari violent que je n’avais pas choisi, le 20 janvier 2004.

J’ai passé 6 mois dans la rue mais c’était le prix à payer pour être là où je suis aujourd’hui.

J’ai obtenu mon titre de séjour en 2005 et ai été hébergée en foyer de jeunes travailleurs à Ménilmontant.

Et là, j’ai décidé de parler, de témoigner. Je ne pouvais plus m’arrêter : il fallait raconter cette histoire héritée, rompre le cercle sans renier d’où je venais.

 

Peux-tu nous parler de ton association « Espoirs et Combats de femmes » ?

Quand j’ai raconté mon histoire dans mon livre « on m’a volé mon enfance », j’ai également créé cette association pour sensibiliser les femmes aux violences et lutter contre l’excision. Je suis même allée mener une campagne et des débats en 2008 en Guinée. Je crois que cela a produit un déclic chez mon père sur la condition des femmes.

En 2009, j’ai rejoint le réseau Ni putes Ni soumises. Je voulais fédérer les gens autour d’actions communes. Puis je me suis engagée auprès de « Excision, parlons-en ».

 

Et ton travail chez Aurore ?

C’était important pour moi d’évoluer professionnellement, d’avoir un emploi. J’ai suivi le DESU « Prévention des conduites à risques » et j’ai intégré le CHRS la Talvère (Gagny) en 2013. Cela m’a apporté une stabilité financière, une indépendance. J’ai constaté que ma situation restait fragile et que ce travail me permettait de rester forte.

Depuis janvier 2021, j’ai rejoint l’équipe du CHS Cœur de femmes où je fais un peu de suivi mais surtout je m’occupe d’animer le service, de créer des débats… Mais je laisse mon histoire et mon féminisme dehors.

 

Qu’est-ce que la médaille de l’ordre du mérite t’apporte ?

J’ai eu l’honneur de recevoir le 7 mars, des mains de Marlène Schiappa, la médaille de l’ordre du mérite pour mon combat pour les femmes. C’est la reconnaissance de ce que j’ai accompli et de mon témoignage. Ça me donne de la force et de la volonté pour mon action.

Je n’ai pas fini de lutter. J’ai le projet de réactiver l’association « Espoirs et Combats de Femmes » avec la création d’hébergements pour accueillir des femmes, en toute discrétion, lors des soins de reconstruction après une excision.

 

 

Diaryatou est aujourd’hui mère de 2 enfants, un garçon et une fille, et elle souhaite leur transmettre le respect des femmes et le droit de choisir leur vie.