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Marin, travailleur pair au sein du projet Prévention des addictions par la pair-aidance pour un public jeune

Le chantier de ma reconstruction 

Je suis arrivé à la communauté thérapeutique (CT) d’Aubervilliers le 26 septembre 2018, sortant de psychiatrie, avec un diagnostic dramatique de psychose en lien avec ma consommation de drogue et un lourd traitement. Je prenais des médicaments par doses de cheval pour calmer les manifestations de ma psychose et mes obsessions phobiques. J’étais très seul, je ne voyais que ma mère et mon psychiatre : tous mes autres contacts étaient des potes de conso.

En arrivant à la CT, je me sentais tout perdu, plein de désespoir ; tout me faisait peur, et je redoutais en permanence de me suicider. Le début a été compliqué, car j’étais très angoissé, tourmenté, vide.

Assez rapidement, la bienveillance des résidents et des professionnels de l’équipe m’a rassuré. Progressivement, je me suis posé, et au bout de 3 mois j’ai accepté, au propre comme au figuré, d’ouvrir mes valises et pris la décision de rester le temps nécessaire pour m’attaquer au chantier de ma reconstruction.

J’ai passé 14 mois à la CT. Ça a été un pur bonheur, j’ai adoré mon séjour. J’avais entièrement confiance dans l’équipe, je me suis senti chez moi, accueilli tel que j’étais, avec bienveillance. Le modèle Minnesota m’a énormément plu. Le soutien extraordinaire des pairs entre eux est génial. Et dans l’équipe, 3 thérapeutes sont d’anciens consommateurs ; en les regardant, j’ai réalisé qu’on pouvait arrêter de consommer et être heureux.

 

Un parcours en trois phases

Ce savoir expérientiel leur permet d’avoir une connaissance fine des ressentis et les rend capables d’anticiper certaines situations, de reconnaître chez les résidents certains signaux qu’ils ont déjà vécus eux-mêmes. J’avais choisi de faire confiance à l’ensemble de l’équipe, mais moins honte de partager un souvenir difficile autour de la consommation de drogue et ses conséquences avec quelqu’un qui avait vécu la même chose, avec qui je m’identifiais.

Le parcours se découpe en 3 phases :

  • La phase 1 est une période d’accueil. Je n’avais pas de téléphone, je me suis intégré au groupe, j’ai travaillé sur les conséquences de ma consommation dans tous domaines de ma vie, levé le déni sur ma dépendance. J’ai pu comprendre que c’était une maladie et demander de l’aide.
  • En phase 2, j’avais plus souvent accès à mon téléphone et plus de liberté. J’avais la mission d’accueillir les nouveaux et de transmettre mon expérience. Je commençais à réfléchir à la suite, à envisager un métier et des centres d’intérêt vers lesquels me tourner. Aidé par les « phase 3 », j’ai fait un gros travail écrit sur les comportements de ma vie de dépendant et les choses que j’avais besoin de changer pour ne pas retourner consommer à la sortie. Il y a aussi une importante réflexion sur les émotions, les interactions et les liens, sur ce qui se joue quand les émotions se manifestent – quand on se met en colère par exemple – et sur notre compréhension des conséquences sur les autres : cela permet de trouver les modes de la vie en société.
  • La phase 3 permet de se tourner vers l’extérieur, de reprendre des études, commencer à travailler, faire une demande de logement en AT*, en HLM ou dans le privé.
    J’ai repris des cours en vue d’obtenir mon bac.

Quand est venue l’heure de mon départ de la CT, j’ai fait une demande d’appartement thérapeutique (AT) pour poursuivre le travail de consolidation avec des professionnels. Il n’y avait pas de place disponible à ce moment-là, l’équipe a donc demandé à l’association EDVO si elle pouvait loger des résidents de la CT en fin de parcours en attendant que des AT se libèrent, ce qui a été possible.

 

Du rétablissement au DAEU 

J’ai passé six mois à l’EDVO (Espoir du Val d'Oise). Je continuais à fréquenter très régulièrement des groupes de paroles extérieurs, tels que les Narcotiques anonymes, pour assurer la transition tout en gardant le lien et continuer à avancer.

Trois mois après mon arrivée, je suis parti une douzaine de jours au Canada avec des amis que je m’étais fait à la CT, dans le cadre d’un congrès Narcotiques anonymes pour les jeunes au Canada.

L’annonce du confinement est tombée le jour de notre retour en France ! J’ai hyper bien vécu cette période du confinement, elle a été pour moi un vrai kiff ! Je faisais énormément de sport, j’animais un groupe de théâtre et un autre de méditation, ce qui contribuait aussi à nourrir mon estime de moi, et je continuais mon travail avec mes groupes de paroles.

Comme je voulais absolument avoir mon bac, j’avais repris en 2019 des études à Paris Diderot. J’ai continué à travailler et obtenu mon DAEU (Diplôme d'accès aux études universitaires) en juillet 2020.

Ça m’a vraiment fait du bien de devenir clean : cela a laissé de la place pour énormément de choses que je rêvais auparavant de faire, sans le pouvoir à cause de ma consommation. J’ai repris mes études et suis allé jusqu’au bout, j’ai démarré la boxe thaï, la course à pieds et la méditation (en tant qu’élève puis comme enseignant), je suis devenu un gros lecteur, j’écris beaucoup aussi, sur mes journées, mes émotions, des poèmes également ; j’ai recommencé à aller vers les autres, j’ose demander de l’aide quand j’en ai besoin… J’ai aussi écrit à mon petit frère et rétabli le lien avec lui.

Tout ça parce que j’étais clean et qu’il y avait maintenant de l’espace pour ce que j’avais envie de faire et pour les autres. Avant, il n’y avait de place que pour l’obsession du produit : d’abord, comment le trouver, puis le moment de la consommation lui-même. Pendant de longues périodes je ne faisais rien d’autre. Aujourd’hui, je me remplis de choses que j’aime, je me fais plaisir.

 

Au moment où j’ai obtenu mon DAEU, j’ai reçu une proposition d’AT, avec le CSAPA* d’Aurore, à Gagny. J’y ai emménagé avec 2 autres dépendants. J’y ai vécu environ un an, avant d’intégrer un autre AT, seul, à Villemomble. J’étais toujours en contact avec l’équipe du CSAPA, jusqu’à l’an dernier, où j’ai senti que j’arrivais en fin de parcours et que je n’en avais plus besoin. Mais j’ai continué à participer aux réunions des Narcotiques anonymes.

Je loue maintenant un studio de 20m2 à Paris, dans le privé. J’ai fait un service civique dans une association qui répare des ordinateurs et installe des logiciels libres, avec une visée militante, écoresponsable. J’étais aussi écrivain public.

 

L'identification comme remède 

J’ai ensuite voulu me lancer dans l’obtention d’un diplôme d’éducateur sportif pour enseigner de nombreux sports, mais ce projet n’a pas pu aboutir, car je ne me projetais pas.
Mais à ce moment-là, alors que je m’intéressais au projet d’une association de développer une démarche de pair-aidance pour orienter les personnes vivant dans des lieux d’hébergement et ayant des soucis de consommation. Lilian, patient expert en addictions d’Aurore m’a proposé de participer à une session de sensibilisation à la pair-aidance. L’idée sous-jacente de la déléguée métier pair-aidance d’Aurore était qu’un travailleur pair puisse mener un projet de prévention des conduites addictives auprès des jeunes. Comme j’ai 27 ans, c’était pertinent de m’envisager à ce poste. Et pour moi, c’était l’occasion de travailler avec des gens qui sont, plus que des collègues, des amis.

J’ai donc fait cette session de formation et intégré le poste, dans lequel je me sens à l’aise et en sécurité.

Le 1er septembre 2022, j’ai signé mon contrat de travail avec Aurore ; je suis vraiment content, c’est génial ! J’aimer travailler avec mes collègues : je ne pouvais pas rêver meilleur cadre de travail ! Leur bienveillance me rassure, elle me permet de m’épanouir, de donner le meilleur dans mon travail. Et quand j’ai des difficultés, je n’ai pas peur de leur en parler.

Nous avons présenté notre projet de prévention au foyer MNA* d’Aurore, à Gagny. Il s’articule autour de 5 séances : 1 par semaine, d’une durée minimum de 2 heures.

Pour ce faire, nous utilisons des biais comme le théâtre, les jeux, les débats, la vidéo, le développement des compétences psycho-sociales.

Je m’identifie d’abord auprès des jeunes ; je leur dis que je suis pair-aidant, que j’ai consommé de mes 13 à mes 23 ans. Je n’entre pas dans le témoignage, mais je me présente d’une manière qui permet de libérer la parole. Je me sens à ma place dans cette fonction, cela a du sens.

Mon profil les rassure : ils peuvent me parler de leur propre consommation sans craindre de problème ni de posture moralisante. Je garde toujours en tête qu’il y a aussi une notion de plaisir, dans la consommation.

Je parle avec eux de choses que je connais comme eux, et je fais en sorte que les séances soient ludiques, qu’ils aient du plaisir à y participer.

Depuis 6 ans maintenant, je fais de la boxe thaï, qui a été un outil important de ma reconstruction. Plusieurs fois, j’ai constaté que les jeunes étaient très attirés par ce genre de sport et je pense que je peux l’utiliser dans la thérapie que je pratique. Je vais du coup passer un diplôme d’éducateur sportif, spécifique aux sports de combat, cette fois.

Pour l’instant, je donne bénévolement des cours à des résidents d’EDVO et de la CT d’Aubervilliers, le dimanche.

Je suis aussi entré dans un parcours de patient-expert, j’ai 3 ans pour le valider. Cela me permettra d’entériner mes compétences, mon expérience d’animation de groupe, d’orientation d’usagers, mon savoir expérientiel sur la maladie de la dépendance et le déni.

Enfin, je suis en train de m’inscrire au diplôme universitaire d’addictologie pour enrichir mes connaissances. A terme, j’aimerais être thérapeute : addictologue ou psychologue.

Pour conclure, je peux dire qu’aujourd’hui, l’appui des groupes de parole, la transmission de mon expérience, tous les principes de la pair-aidance, je les vis dans mon quotidien.

J’ai découvert cette manière de faire en arrivant à la CT, compris qu’on pouvait se servir de l’expérience de ceux qui ont traversé des difficultés que l’on rencontre à son tour, pour lever le déni dans lequel on est quand on consomme. Qu’il fallait accepter le fait qu’il s’agit d’une maladie, qui nous poussait à consommer sans cesse malgré des conséquences dramatiques dans sa vie. Et aussi qu’on avait l’impression que le bonheur, on le trouvait dans la consommation et qu’il servait à faire taire une certaine peur du vide.

Je ne perds cependant pas de vue que je suis dépendant à vie. Il y a les dépendants actifs et les dépendants abstinents. Aujourd’hui, je suis du côté de ces derniers.

L’arrêt de ma consommation a entraîné des changements très importants pour toute ma famille, nos relations ont évolué d’une façon incroyable ; j’ai repris des liens avec ma mère, ma sœur et mon petit frère. Avant, j’étais tout le temps un problème, pour tout le monde. Aujourd’hui, je vais au bout de tous mes projets et on me voit plutôt comme une solution. Ma mère me demande de l’aide alors qu’auparavant elle demandait de l’aide, à mon sujet.

 

En conclusion, je peux dire qu’aujourd’hui, l’appui des groupes de parole, la transmission de mon expérience, tous les principes de la pair-aidance, je les vis dans mon quotidien.